Albatros, le poète au-dessus des hommes ~~ [Mission Solo]

[Avant les aventures de Xanya sur Square Fall]

Le navire marchand sur lequel avait embarqué Xanya était spacieux. Il y avait énormément de place pour elle mais aussi, et surtout, pour son compagnon. En effet, le tigre blanc en imposait considérablement maintenant. Il avait bien grandi au grand plaisir de la jeune femme aux cheveux roses, malheureusement pour le bon déroulement de leur voyage, cette taille devenait réellement encombrante. Et tout ceci sans parler de son appétit monstre. Heureusement pour ces deux-là, elle avait entendu dire que le voyage jusqu'à l'île de Dawn ne serait pas long. Et pour cause ! Le navire ne mit que trois jours à accoster sur cette nouvelle île. Cette courte durée n'avait pas laissé le temps au jeune équipage, apparemment pas très expérimenté, de se rendre compte de la clandestinité de l'un des passagers. Ils déchargèrent le fret plus rapidement que ce que Xanya avait prévu puis leur capitaine leur laissa quartier libre jusqu'au lendemain aux premières lueurs du jour, l'heure à laquelle ils partiraient.
Elle avait préféré attendre que la nuit tombe pour débarquer sur l'île de Dawn et même s'il faisait nuit, elle fut impressionnée par ce qu'elle vit. Des murs d'enceinte immenses se trouvaient à quelques pas du port. Elle s'y dirigea immédiatement ayant l'intuition qu'il s'agissait de la ville la plus importante de l'île et donc la ville qui lui permettrait de se réapprovisionner en vivres, plantes et autres besoins. Cependant une fois devant les portes, elle se rendit compte avec plus ou moins d'étonnement que celles-ci étaient fermées. Elle aurait dû s'en douter. Cette forteresse était présente pour protéger quelque chose mais quelle piètre protection cela aurait été si la ville laisser pénétrer en son sein les pires criminels durant le règne des ténèbres. Elle rebroussa donc chemin et se retrouva en face d'un endroit des plus atypiques. Une décharge publique, une décharge publique géante. Il y avait des déchets entassés partout et sur des dizaines de et des dizaines de kilomètres. Et pourtant un certain ordre transparaissait comme si cette montagne d'ordure avait été organisée. Eh bien son hypothèse se révéla juste, pour autant, elle n'en fut pas moins surprise lorsqu'elle aperçut des hommes autour de quelques feux de camp qui se réchauffaient. La jeune fille s'approcha discrètement d'eux. Elle était curieuse de savoir qui étaient ces personnes qui vivaient au milieu des ordures. Son compagnon fut encore plus discret qu'elle, elle ne sentait même plus sa présence près d'elle. Pourtant tous deux furent tout de même repérés.

Vous savez des cheveux roses ou blancs dans un fond gris, ce n'est pas ce qui passe des plus inaperçus ! lança l'un des hommes assez fort pour Xanya l'entende.

Décidément, elle avait des progrès à faire. Elle sortit donc de sa cachette suivie de près par son tigre. À la vue de celui-ci, tous écarquillèrent les yeux et eurent un mouvement de recul, certains se mirent même à trembler. La jeune femme eut un léger sourire, imperceptible, contente de son petit effet. Elle se tourna vers le quadrupède, se mit à genoux en formant un angle droit avec son corps afin que sa tête soit au même niveau que celle de l'animal et le chahuta avec tendresse pour montrer qu'il n'était pas méchant.

-C'est un bien gros compagnon qui voyage avec toi Mam'selle ! Qu'est-ce que vous faites ici tous les deux ?

Xanya ne répondit pas, elle s'était assise près du feu et adossée à son compagnon allongé. Elle regarda simplement l'homme, d'environs la quarantaine et aux cheveux châtains, qui lui parler sans mot dire. Après quelques minutes de silence, l'homme reprit :

Tu n'es pas très bavarde hein ! Tant pis, c'est moi qui parlerais dans ce cas ! Je m'appelle Teyvis et nous nous trouvons dans la merveilleuse cité de Grey Terminal.

La jeune fille avait ouvert grand les yeux en entendant le mot « cité ». Elle avait regardé frénétiquement autour d'elle pour voir un quelconque indice qui lui indiquerait que cet amas d'ordure pouvait être considéré comme une cité. Sa confusion était telle que même le tigre releva la tête et la tourna vers elle, intrigué par son attitude. Le porte-parole des hommes de Grey Terminal éclata alors de rire en voyant un comportement si innocent émaner de cette personne qui aurait plutôt les attribution d'une jeune femme fatale. Elle s'arrêta de suite, ayant un peu honte d'avoir réagi ainsi.

C'est ce qu'on appelle l'ironie Mam'selle. Grey Terminal est une décharge publique géante. C'est ici que la ville encerclée par une enceinte jette tous ses déchets. Tu dois sûrement te demander pourquoi nous nous trouvons ici, eh bien c'est très simple. Nous sommes des marginaux, toutes les personnes dont le royaume de Goa veut se débarrasser. Nous sommes des mendiants, d'anciens criminels, des orphelins et j'en passe. Mais notre sort n'est pas le plus triste. Nous vivons bien, les nobles laissent en général des restes considérables qui nous permettent de manger à notre faim et il y a toujours assez de matériaux pour faire un bon feu. Bien sûr il arrive parfois que des rixes éclatent mais jamais rien de très embêtant.

Xanya buvait les paroles de Treyvis. Elle était horrifiée par la vie qu'ils menaient. Elle trouvait inconcevable que des gens sains d'esprit puissent les laisser vivre dans des conditions pareilles. Apparemment ses pensées se reflétaient sur son visage et n'échappèrent pas à son locuteur car il reprit :

-Tu sais, à l'intérieur des enceintes, c'est bien pire pour nous, les gens nous pourchassent, on ne peut pas aller chercher les restes dans les poubelles sous peine de recevoir, pour les plus chanceux, des coups de bâton. Ici au moins personne ne nous toise, tout le monde nous accepte tel que l'on est.

Elle avait du mal à approuver son état d'esprit mais elle le comprenait. Elle hocha légèrement la tête pour montrer qu'elle assimilait ses propos. Treyvis comprit d'ailleurs assez vite que la jeune femme à la chevelure sucrée ne voulait assurément pas partager leur monde de vie.

-Je suppose que tu veux t'introduire à l'intérieur de la ville. Ça ne va pas être facile, je te préviens. Il n'y a qu'une seule entrée et une seule sortie : cette grande porte. Il va falloir que tu sois inventive si tu veux passer car la porte est très surveillée. Le gros problème que tu rencontreras aussi sera la manière de faire entrer ton tigre. C'est à toi de voir. Pour les horaires, voici les moments d'affluence : de midi à 14h et de 18h à 20h. Le reste du temps c'est plutôt calme. Tu te demandes sûrement comment je sais tout ça. Tu sais, avant d'accepter notre condition, on a tous voulu retourner en ville au moins une fois. Je vais te raconter.

Et c'est ce qu'il fit, il passa la soirée à lui narrer des histoire avec parfois, voire souvent, l'intervention d'un de ses camarades. Il en conta jusqu'à ce que Xanya s'endorme paisiblement.
Le lendemain Xanya se réveilla bien reposée et ayant réfléchi à un plan d'action. Elle fouilla dans les ordures, même si cet acte la répugnait, un sac à dos pas trop abîmé qu'elle pourrait remplir sans difficulté. Après quelques minutes de recherche, elle trouva son bonheur. Treyvis avait raison, les nobles jetaient tout et n'importe quoi ! Ce sac en cuir encore en bon état n'était absolument pas usé.*Tant mieux pour moi, je le garderai pour la suite !* Une fois son entreprise terminée, elle leva la tête vers le ciel et observa le soleil. Il était haut dans le ciel mais pas encore à son zénith. Il devait être entre midi et 13h *Déjà?! J'ai dormi longtemps ! Mais dans un sens tant mieux, je n'aurai pas à attendre longtemps !* Elle se dirigea donc vers la porte de la ville. Elle s'arrêta assez loin pour qu'on ne puisse pas la repérer, elle et son tigre, mais assez près pour qu'elle puisse juger du flot de personne. Elle estima qu'assez de monde faisait la queue pour qu'elle puisse passer inaperçue. Elle se mit au bout de la file et attendit patiemment que son tour arrive tout en se répétant ses instructions dans sa tête*Surtout rappelle-toi, reste sûre de toi, ne flanche pas, ne montre pas une once d'hésitation !*

-C'est pourquoi ?demanda l'un des gardes dont l'attitude nonchalante criait : "je n'ai pas envie d'être là".
-Monsieur de Goarg m'attend pour un spectacle de danse accompagné par ce félin.
-Monsieur de Goarg vous dites...
-C'est bien ça, assura-t-elle.

Le garde ne fit pas grand-chose, il attrapa fermement sa lance et dis simplement :

-Il n'existe pas de Monsieur de Goarg ici, dégage vermine.

Xanya fut désarçonnée, sa supercherie n'avait pas fonctionné. Elle était pourtant persuadée que tout se passerait pour le mieux. Elle s'en alla dépité tirant sur le garrot de son tigre qui grondait.

-C'est rien, c'est rien, aller viens.

Son plan avait été un fiasco total, elle n'était visiblement pas au point sur cet aspect-là non plus.*Bon et bah on a plus qu'à essayer de passer discrètement mais avec lui ça va être difficile.* Elle le regarda droit dans les yeux et lâcha, désespérée :

-Tu ne veux pas rétrécir un peu... Non ?

Le tigre avait tourné la tête comme s'il avait compris que la question de Xanya n'avait aucun sens.
Après quelques minutes, elle entreprit une nouvelle tentative de passage. Elle essaya de percer la ligne défensive des gardes alors que ceux-ci étaient submergés par l'affluence des voyageurs. Elle se faufila derrière les gardes, entra dans la ville, allait crier victoire lorsqu'à son grand dam, elle vit une ligne de soldats royaux qui l'avaient vu passer sans autorisation. La journée allait être longue, elle le savait.
Après plusieurs tentatives infructueuses, les gardes perdirent patience. L'un d'eux se jeta sur Xanya. Grossière erreur. Son tigre veillait sur elle, il ne laissa pas le garde approcher à plus d'un mètre d'elle. Le quadrupède créa une trouée et Xanya monta sur lui. Ils s'élancèrent alors dans les rues de la ville, les gardes à leur trousses. Le voile sombre des ténèbres tombait peu à peu et devint à ce moment-là le terrain de jeu du félin. Les hommes de main de la loi connaissaient peut-être mieux la ville mais le tigre voyait mieux qu'eux durant la nuit. Il empruntait les petites ruelles, bifurquait tantôt à gauche tantôt à droite, sautait sur les murs et sema les gardes en ayant eu le soin d'en mettre plusieurs hors-jeu. Les deux compères se retrouvèrent dans une ruelle. Xanya décida de s'y établir pour la nuit. Mais avant de s'endormir, elle vit une chose surprenante.

Une chouette rackettait un jeune homme.

*Une chouette rackettait un jeune homme ?*

Ce fut la première pensée de Xanya à son réveil. Cet étrange incident la laissait sceptique. Était-ce son imagination ou la réalité ? Elle était peut-être trop fatiguée après la dure journée qu'elle venait de passer pour parvenir à faire la différence entre les deux. Elle préféra donc chasser cette vision de sa tête et se concentrer sur ce qui l'amenait dans cette ville initialement. Elle devait faire le plein ! Elle avait besoin de vivre et de plante pour pouvoir continuer son voyage à travers le monde. Elle ne pouvait décemment plus partir clandestinement sur des navires marchands et voler toutes leur nourriture. C'était irrespectueux et mal. En mémoire de ses parents et du vieil homme qui l'avait bien souvent aidé, elle ne voulait plus faire ces choses-là. Malheureusement, un problème se posait face à elle. Elle avait besoin d'argent. Le peu qui lui restait ne suffirait pas à couvrir tous ses frais. Il fallait penser à son tigre également, au cas où il tomberait malade et qu'il ne serait plus en mesure de chasser, ou tout simplement pour les moments où ils seraient en mer. Et enfin le point crucial de cette affaire était l'obtention d'une embarcation, d'une meilleure qualité qu'un simple radeau qui ne supporterait sûrement pas le poids de son compagnon. Comment pourrait-elle réunir tout cet argent ? Elle se le demandait encore.
Cependant, elle ne comptait pas se laisser abattre par cette pensée des plus décourageante. Elle travaillerait comme saltimbanque au pire, son tigre pourrait lui être tellement utile. Mais pour le moment, elle préféra se concentrer sur ce qui était le plus urgent : la nourriture. Elle n'avait pas oublié les événements de la veille, alors afin d'être un peu plus discrète, elle demanda au quadrupède de rester caché dans cette ruelle sombre qui leur avait servi de refuge pour la nuit. Il se fit un plaisir de s'étaler le long de cette ruelle et de s'endormir pour attendre son retour. Xanya secoua la tête en signe d'exaspération, s'approcha de lui et lui chuchota avant de partir :

-Fais attention à toi tout de même, ne laisse personne t'attraper. Je reviens vite. Je compte sur toi.

Elle avait jeté cette dernière phrase par-dessus son épaule alors qu'elle s'éloignait rapidement. Elle vadrouilla quelque peu dans cette ville immense, recherchant un quelconque marchand de fruits et légumes et de viande, séchée de préférence. Elle mit facilement la main sur ce qu'elle souhaitait. Il se trouvait que la stand en plein air qu'elle avait repéré était tenu par le meilleur marchand de fruits et légumes ! Enfin selon les dires des personnes qui faisaient la queue devant elle. Elle s'amusait à entendre les commérages des vieilles femmes qui profitaient de leur petite sortie quotidienne. Cette fois-ci, elles conversaient sur la ville et ses différentes zones. Xanya apprit donc que la ville même était coupée en deux par des murs d'enceinte encore un fois. Ces murs servaient à séparer les nobles des "petites gens" comme ils se plaisent à les appeler. Elle aimait de moins en moins cette ville surprotégée. Ce qui l'agaçait le plus, c'était de savoir que la population de cette ville semblait s'en accommoder sans peine, et c'était aussi le cas des reclus de cette société qui résidaient dans le Grey Terminal. Elle n'arrivait pas à s'expliquer cette mentalité. Les habitants étaient-ils confrontés à un lavage de cerveau dès leur plus jeune âge pour accepter qu'on brime leur liberté à ce point ?
Elle chassa également cette pensée de sa tête, de peur de s'énerver sans raison apparente et d'être, de ce fait, la plus indiscrète des clandestines. Le moment pour elle de choisir les aliments qu'elle désirait allait arriver quand soudain un salve de rapace s'abattit sur le stand. Elle croisa ses bras devant sa tête pour se protéger et pouvoir également voir le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Les habitants avaient l'air terrorisés. Les oiseaux attaquaient chaque personne présente à ce moment-là. Mais le plus étrange résidait dans l'organisation des bêtes volantes. Ils n'attaquaient pas à l'aveuglette, ils s'en prenaient précisément à ceux qui semblaient avoir des bijoux de valeur sur eux. Ils étaient semblable à des pies, récupérant tout ce que brillait sur leur passage. Comparaison plus qu'ineffable pour des rapaces.

*Qu'est-ce que c'est que ça ? Finalement ce que je crois avoir vu hier soir n'est peut-être pas si fou ! je veux en avoir le cœur net !*

Elle s'approcha des femmes qui se trouvaient devant elle dans la file et leur demanda, très succinctement en montrant le carnage qui venait de se passer :

-C'est quoi ?

Les deux personnes âgées la regardèrent comme si elle était un être d'une insolence sans précédent. Cependant elle finirent tout de même par se mettre d'accord et décidèrent de révéler les informations nécessaires à la compréhension de cet événement des plus atypiques.

-Vous devez certainement être une étrangère. Néanmoins, la politesse veut que vous nous adressiez, à nous vos aînées, un peu plus de respect.
-Georgette, n'embête pas cette jeune femme. Donnons-lui ce qu'elle demande ainsi nous n'auront plus à souffrir de sa présence.
-Tu as raison Gertrude. Eh bien demoiselle, ce que vous venez de voir était l'œuvre du terrifiant Albatros Bec-Long. Je suppose que vous ne savez pas de qui je veux parler. Eh bien c'est simple, cet homme est un ornithologue, un reclus de la société. Il avait d'ailleurs été envoyé dans Grey Terminal. Ne faîtes pas cette tête voyons, il est tout à fait normal que nous nous séparions des personnes importunes et...

La jeune femme ne prit pas la peine d'écouter la suite de ce qui était en train de se dire. L'évocation de Grey Terminal la mettait hors d'elle. Elle partit sans demander son reste. Toutefois, elle avait tout de même récolter une information. Derrière ces attaques d'oiseaux, il y avait un homme, une sorte de savant fou ? Peu importait, sa mission première était de réunir des vivres pour pouvoir continuer son aventure en paix ou, du moins, le ventre plein. Les problèmes de cette ville ne la concernaient pas et, par ailleurs, elle avait l'envie de la quitter au plus vite.
Elle se promena donc quelques temps dans la ville, remplissant ses poches au fur et à mesure et vidant sa bourse par la même occasion. Elle allait enfin prendre le chemin du retour vers son tigre quand une feuille quelque peu froissée se plaça sur son visage, emportée par le vent. Xanya s'en dégagea et lu ce qu'il y était écrit.

"WANTED

Dead or Alive

Albatros Bec-Long

20.000B"

Elle resta bouche bée. C'était pour elle l'occasion rêvée de se faire un peu d'argent ! Certes cet Albatros ne lui avait rien fait mais il s'était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Elle courut alors en direction de son tigre pour lui annoncer la nouvelle mais elle aussi allait être une victime de ce fameux criminel. Sorti de nulle part, un aigle fonça sur elle. Instinctivement la jeune femme reprit la même pose défensive que celle qu'elle avait effectuée quelques minutes plus tôt. Malheureusement pour elle, l'aigle ne visait pas son corps mais quelques chose qui se trouvait sur sa tête. Il s'en empara sans scrupule et s'éloigna à grand coup d'aile.

-Mes oreilles de chat !!!

Elle était affolée ! C'était la dernière chose qui lui restait de ses parents. Elle n'avait rien contre l'amoureux des oiseaux jusque là mais cette fois-ci, ce serait la guerre. Ses yeux se tintèrent d'un rouge pourpre. Elle fit irruption dans la ruelle sombre qui abritait son compagnon, qui se mit presque au grade à vous à sa vue tant sa colère était palpable. Elle le regarda droit dans les yeux et lui dit avec détermination.

-Tu vois cet homme, cet Albatros, dit-elle en lui montrant le Wanted. On va se le faire.

*Bon alors tout d'abord, il faut le trouver*

Le tigre la regardait s'agiter dans tous les sens sans comprendre pourquoi. Il avait saisi qu'elle voulait chasser un homme qui se trouvait apparemment enfermé dans une sorte de feuille à la forme étrange. Mais pourquoi s'agitait-elle ainsi ? Xanya, elle savait exactement pourquoi il était indispensable qu'elle retrouve cet homme. il lui avait enlevé le dernier souvenir de ses parents et il allait le lui payer. Malheureusement, elle ne savait pas par où commencer. C'était la première fois qu'elle décidait réellement de prendre quelqu'un en chasse. Quelqu'un sur une affiche Wanted. Elle avait décidé, il y a longtemps de cela, qu'elle serait chasseuse de prime, mais elle n'avait pas la moindre idée de comment on s'y prenait. Seul son tigre savait chasser mais pour ce faire il lui fallait quelque chose qui appartenait à la personne pour qu'il puisse la traquer. Or cette fois-ci cette personne n'était, pour l'instant, qu'un morceau de papier. Elle ne voyait pas trop comment elle allait faire mais il fallait bien un début à tout. Il fallait donc commencer par récolter des informations. Enfin c'est ce qu'elle pensait être la chose la plus évidente pour retrouver cet Albatros. Selon les deux femmes âgées qui lui avaient parlé avec un ton hautain, il séjournait à Grey Terminal. Alors après seulement un jour passé dans la ville au mur d'enceinte dans laquelle elle avait eu tant de mal à entrer, elle allait devoir retrouver la décharge public et Treyvis, l'homme qui lui avait donné tant de bons conseils. Elle était quelque peu amère mais bien déterminée à retrouver le dernier présent de ses parents. mais avant de retrouver Grey Terminal et ses habitants, elle voulait quand même mener son enquête dans la ville.
Elle partit donc à la recherche d'indice qui pourrait lui servir pour localiser le repaire de ce criminel. Cette fois-ci, la jeune femme emmena son compagnon avec elle.

*Tant pis pour la discrétion, ça ira plus vite s'il est avec moi.*

Ils déambulèrent tous deux dans les rues de la ville, s'adressant à chaque passant et terrifiant ceux qui refusaient de répondre. Malheureusement leur investigation se termina sur une note désastreuse car rien de ce qu'avaient pu leur dire les citadins n'affinait leur recherche. Personne dans cette ville n'en savait plus que les deux « mamies », selon les paroles de Xanya, lui avaient déjà appris. Mais, jouant de malchance, ce ne fut pas le seul tracas qui leur arriva. Un des garde de la veille les repéra et ce fut de nouveau une course poursuite dans la ville. Pourtant cette fois-ci, la jeune femme à la chevelure sucrée cherchait à en sortir. Une fois qu'elle eut atteint la porte d'enceinte, un des gardes lui cria :

-Et surtout ne t'avise plus de revenir !!

Elle lui aurait bien dit que c'eut été avec plaisir mais elle avait besoin de revenir justement afin de prendre les vivres dont elle avait besoin et, surtout, pour s'offrir un navire. Elle chassa alors d'un coup de brosse imaginaire cette dernière phrase de ses pensées et se concentra sur son nouvel objectif : retrouver Treyvis. Ce ne fut malheureusement pas chose aisée. Elle avait un moins bonne maîtrise de Grey terminal que ce qu'elle pensait. L'amas de grisaille apparemment ordonné que formait la décharge était en fait un chaos organisé que seul ses propres résidents pouvaient comprendre. Elle tourna alors en rond pendant près de deux heures quand elle décida de laisser sa fierté de côté et de demander son chemin à quelqu'un. Le premier passant à qui elle adressa la parole fut d'une aide fabuleuse. Grâce à lui, elle retrouva l'homme qu'elle cherchait en à peine deux minutes. Elle le remercia alors et rejoignit Treyvis.

-Bonjour, le salua-t-elle sans grande conviction.
-Alors tu parles ! Incroyable, tu sais t'exprimer avec des mots ! Alors comment t'appelles-tu ?

Il était plus taquin qu'elle ne l'avait pensé, mais elle ne prit pas son attitude en compte. Après tout c'était à peu près la réaction de chaque personne à qui elle finissait par adresser la parole.

-Xanya. Je cherche quelqu'un.
-Directe ! Enchanté de te connaître Xanya, comment vas-tu aujourd'hui ?

Elle lui lança un regard lourd de sens sans daigner lui répondre. Elle n'était pas spécialement pressée mais elle n'avait pas non plus l'envie de perdre son temps en paroles qu'elle jugeait inutiles. Et même si la colère était tombée, elle ne digérait toujours pas le fait de s'être fait subtiliser ses oreilles de chats. Voyant son regard et sentant bien qu'elle ne répondrait pas, Treyvis se décida à orienter la conversation sur ce qui l'intéressait réellement.

-Donc tu cherche quelqu'un, tu n'aurais pas plus de précision par hasard...
-Albatros.
-Vraiment pas très loquace hein... Soupira-t-il comprenant qu'il devrait batailler pour lui arracher deux phrases à la suite. Et pourquoi veux-tu trouver cet abominable personnage hein ? Il est dangereux, tu ne devrais pas t'y risquer.
-Il m'a volé quelque chose.
-Je vois, malheureusement je ne peux pas t'aider, je ne connais rien sur cet homme de plus que ce que tu as déjà dû entendre.
-Il vivait ici.
-C'est exact mais je ne sais pas où il se trouve maintenant.
-C'est très important.

Treyvis réfléchit un instant, il était certes vexé par la froideur du ton de cette Xanya, mais d'un autre côté, elle devait avoir une bonne raison d'agir ainsi. Et puis de toutes façons, il n'avait pas spécialement envie de lui refuser quoi que ce soit. Pourquoi ? Il se le demandait lui aussi mais il ne chercha pas trop longtemps la réponse à cette question. Il n'en avait pas grand-chose à faire finalement. Il planta son regard dans les yeux de la jeune fille et lui dit :

-Je connais quelqu'un qui pourra peut-être t'aider. Son nom Abroguino, il était très proche d'Albatros avant qu'il ne devienne complètement fou. Tu veux que je te le présente ?

À son habitude, Xanya préféra jouer de son mutisme légendaire et hocha simplement la tête en signe d'approbation. Treyvis ouvrit alors la marche et mena la jeune femme et son compagnon vers l'humble demeure de cet Abroguino. Ils découvrirent ce dernier aux prises avec quelques détritus. Il tentait de récolter quelques morceaux de nourriture. Il tâtait le terrain avec ses mains puis, lorsqu'il sentait quelque chose de la texture qui semblait être la plus approprié à quelque chose de comestible, il le portait à son nez pour en humer l'odeur. La jeune femme à la chevelure sucrée trouvait son comportement des plus bizarres mais elle n'en fit rien.

*Après tout on est à Grey Terminal, il doit bien y avoir quelques cinglés par-ci par-là.*

À peine avait-elle envisagé ces mots qu'elle fut horrifiée par les propos qu'elle avait formulés. Elle avait compris la mentalité de la ville de Goa, pire elle en venait même à songer comme les habitants de la ville. Elle secoua rapidement la tête puis se donna quelques petites claques pour chasser ces idées discriminatoires de sa tête. Comment avait-elle pu penser ainsi, sachant ce qu'elle avait elle-même traversé !? Pendant qu'elle se dénigrait de plus en plus, Treyvis la regardais intrigué. Elle avait l'air tourmenté mais il ne comprenait pas pourquoi. Il ne préféra pas se donner la peine de savoir car il était persuadé que s'il l'introduisait à Abroguino ses préoccupations s'envoleraient. Et c'est donc ce qu'il fit.

-Abroguino ! L'interpella-t-il. Ne me dis pas que tu ne m'as pas entendu j'aurais du mal à te croire ! Comment vas-tu ?
-Oh si je t'ai très bien entendu arrivé. J'ai également entendu deux autres types de pas s'avancer à tes côtés : une jeune femme si mes oreilles ne me trompent pas et un quadrupède. Comme tu mettais du temps à te présenter à moi, j'ai pensé que tu ne voulais pas être dérangé et puis ma recherche de nourriture passe légèrement avant toi tu comprends.

L'homme avait terminé sa phrase avec une pointe d'ironie, puis il s'était tourné vers eux ainsi, Xanya put examiner l'homme. Un détail la frappa tout particulièrement. Il avait le regard dans le vide. Au début, elle avait pris ça pour un manque cuisant de savoir vivre mais ensuite elle s'était attardée sur la couleur de ses yeux et les quelques cicatrices qui les entouraient. Et c'est alors qu'elle comprit. Il était aveugle. Cet homme d'âge mûr, brun et à la musculature impeccable était aveugle. Xanya se demanda si ce handicap avait affecté sa façon de vivre ou s'il avait toujours été ainsi. Toutefois, elle n'osa pas lui posé la question.

-Alors ! Quel bon vent vous amène ?
-La jeune fille avec moi est à la recherche de ce cher Alabtros. Je ne peux pas l'aider sur ce point-là mais peut-être que toi oui.
-C'est vrai que nous étions proche autrefois. Alors demoiselle, que souhaiteriez-vous savoir ?
-Où il est ?
-C'est une excellente question. Je n'en ai pas la moindre idée non plus.

Elle soupira, encore une piste qui ne menait à rien. Elle était excédée par cette journée vierge de toute information utile. Elle allait jeter un violent : « Alors vous ne servez à rien ! » quand l'aveugle reprit.

-Nous étions ami lui et moi, avant... Quand il était énervé il avait l'habitude de s'isoler dans l'arbre le plus haut de la plus haute colline de la forêt qui borde Grey Terminal. S'il s'est retiré loin de la population humaine je pense qu'il ira là-bas. C'est un endroit absolument magnifique. Si tu te rends dans la forêt, tu ne pourras pas le rater. En plein jour comme en pleine nuit, on a toujours l'impression que le sol brille de mille feux. Mais fait attention. S'il est réellement là-bas, c'est que ce merveilleux endroit est devenu son territoire. Il sera donc très certainement infesté d'oiseaux de toutes les espèces. Tu vas peut-être trouver ça hilarant mais ces bestioles à plumes sont réellement dangereuses.
-Je les ai vu à l'œuvre.
-Très bien, alors tu sais de quoi il est capable. Fais attention à toi jeune fille.
-Ne vous en faites pas, mon ami me protégera.

Il ne répondit pas, se demandant quel genre de quadrupède était cet animal qui l'accompagnait. Xanya, quant à elle, satisfaite d'avoir enfin découvert quelque chose de tangible sur lequel elle pourrait s'appuyer pour la suite, s'apprêtait à tourner le dos à l'aveugle pour s'en aller quand soudain un détail lui revint. Cet homme lui avait décrit les lieux, certes pas avec précision mais il avait décrit quelque chose qui relevait de la vue. Il lui avait tendu une perche, il fallait qu'elle la saisisse pour en avoir le cœur net.

-Vous n'êtes pas aveugle de naissance, n'est-ce pas ? Demanda-t-elle sur un ton hésitant.

Un silence s'en suivit, un silence durant lequel Abroguino sourit amèrement.

-Tu t'en es rendue compte. Tu es perspicace. Je suppose que tu veux connaître l'histoire de ma particularité physique.

Il lui raconta alors son passé. C'était un jeune homme brillant dont l'avenir était tout tracé. Il était noble et son éducation lui avait permis d'apprendre nombre de choses toutes plus différentes les unes que les autres. Sa culture n'était égalée que par un seul homme : Varens Delamare. C'était un jeune noble lui aussi. Très vite il s'entendirent aussi bien que deux frères. Ils étaient tout le temps ensemble et faisaient la paire. Lycée, université, ils avaient fait en sorte d'être toujours l'un avec l'autre mais un jour, leur chemin avait dû se séparer. L'un se destinait à la recherche médicinale tandis que l'autre préféra se consacrer à l'observation du mode de vie d'une certaine espèce d'animaux. Pourtant tous deux le savaient, ils étaient toujours amis. Quelques années plus tard, un drame survint. L'un des animaux de Varens tua la femme d'Abroguino. Suite à ce crime, Varens fut exilé à Grey Terminal, le comble de la déchéance pour un noble de Goa. Toutefois, Abroguino ne lui en tint pas rigueur. Bien sûr il lui en avait voulu les premières années, mais il se rappela de leur amitié et au nom de celle-ci il décida de renouer avec Varens et de placer la mort de sa femme sous le signe d'un malencontreux accident. Malheureusement pour le veuf, l’exilé avait quelque peu perdu de son bon sens en atterrissant dans la décharge géante. À la vue d'Abroguino, il ordonna à ces animaux d'attaquer son ancien ami. Et c'est ainsi, que l'homme qui se trouvait devant Xanya était devenu aveugle. Un atrophié, comme on l'appelait désormais, était insoutenable à la vue des nobles de la ville haute. C'est pourquoi il fut lui aussi exilé à Grey Terminal. Il avait tout perdu, ou plutôt, Varens lui avait tout enlevé. Il avait alors appris à s'en sortir seul puis avec l'aide des habitants de la décharge qui, finalement, n'étaient absolument pas comme on les lui avait décrit.
Xanya était quelque peu stupéfaite après avoir entendu cette histoire. Abroguino était un homme brisé, et pourtant il semblait être heureux dans cet endroit comme s'il avait refait sa vie et que celle-ci lui plaisait bien plus qu'auparavant. Elle avait été touchée par cet aveugle qui avait toujours su se relevé malgré les coups durs qu'il avait pu encaisser.

*C'est un modèle de persévérance, je devrais prendre exemple sur lui*, se dit-elle en repensant à son histoire.

-À quoi ressemblait ce Varens ?
-Oh je n'oublierai jamais son visage. Il avait des cheveux fin couleur paille, des yeux d'un vert presque aussi intense que l’émeraude, un nez aquilin et des fossettes très marquées ce qui rendait son visage encore plus anguleux. Mais ce qui le distinguait le plus, c'était son sourire carnassier. Il marqua une pose et ajouta, plus pour lui-même. C'est tout de même un comble, je me souviens de son visage dans les moindres détails pourtant j'arrive de moins en moins à me souvenir du visage de ma femme. Elle était belle j'en suis persuadé, mais je ne sais plus ce qui faisait sa beauté...

Xanya préféra garder le silence à ce moment-là. De toutes façons, elle n'aurait pas su répondre à cette dernière phrase. Cependant la description de Varens avait fait écho dans sa tête. Elle était sûr d'avoir déjà vu cette personne mais elle n'arrivait pas à se rappeler où. Quoiqu'il en soit, si elle le croisait ou re-croisait un jour, elle lui ferait passé un sale quart d'heure pour tout le mal qu'il avait causé.
Mais pour l'heure, son attention ne devait pas se porter sur Varens mais sur Albatros. Elle remercia Abroguino puis demanda à Treyvis de l'aider à organiser son voyage dans la forêt de Dawn.

La forêt était tout sauf accueillante. La lumière filtrait à peine entre les arbres et d'ailleurs ceux-ci prenaient des formes étranges qui avaient le don de donner des sueurs froide à la jeune femme. Heureusement pour elle, son tigre était là, tout près, à l’affût du moindre mouvement pour sauter sur l'intrus de son sillage. Il la protégeait et ça lui faisait un bien fou ! Elle regretta les plaisirs simples de Grey Terminal, un bon feu, de la nourriture abondante bien que ce soit des restes et, surtout, de la compagnie. Elle n'avait jamais été très bavarde, certes. Elle avait également un mal croissant à accorder sa confiance à qui que ce soit mais être à proximité d'êtres humains était tout de même une chose qu'elle appréciait. Malheureusement pour elle la fraîcheur et l'obscurité la plongeait dans un état de solitude extrême qu'elle n'avait jamais expérimenté avant. Le goût que lui laissait cette sensation dans la bouche était bien amer mais il fut vite remplacer par la douceur de son tigre blanc qui la frôlait, plus qu'il ne le fallait, pour l'assurer de sa présence à ses côtés. Il avait beau être un animal, il savait exactement quand elle allait bien ou non et il savait également comment la rassurer. Elle se sentait fière d'avoir un tel ami, insolite et attachant. Mais le temps n'était pas à l'attendrissement. Pour l'heure, elle était à la recherche d'Albatros, le terroriste de Goa. Il lui avait dérobé un bien précieux et elle n'allait sûrement pas se le laisser retirer comme ceci. Il allait payer pour ce qu'il avait fait. Ces pensées lui donnèrent un peu plus de courage et de détermination. Elle s'enfonça alors de plus en plus dans la forêt épaisse.
Finalement, à part quelques racines sur lesquelles elle se sentait malgré elle obligée de trébucher et quelques égratignures récoltées çà et là, l'expédition se passait plutôt bien. Aucun importun, aucune surprise, rien de rien. Xanya prit donc de plus en plus d'assurance voyant que ses craintes étaient totalement infondées mais dans le même temps elle se rendait compte de l'immensité de la forêt. Elle commençait sérieusement à se demander comment elle allait réussir à trouver cette lumineuse colline... Pourtant cela ne l'empêchait pas de continuer sa route muée par sa détermination. La forêt devenait de plus en plus dense, sauvage et sombre à mesure qu'elle s'y enfonçait. Peut-être était-ce simplement le jour qui faisait progressivement place à la nuit mais Xanya avait l'impression que c'était bien plus que ça. La nature semblait prendre la forme d'une jungle au climat bien plus lourd et humide. La jeune femme commençait à perdre pied. Elle perdit le fil de ses pensées et se mit à marcher de plus en plus vite ne sachant pourtant pas où elle allait. Elle marchait, tournait, sautait par-dessus les obstacles, on aurait même pu croire qu'elle allait courir. Puis soudain...

Il sentit une présence hostile. Il voulut y prêter une plus grande attention mais la deux-pattes avec qui il avait décidé de voyager ne s'arrêtait plus malgré ses avertissements incessants. Il avait tout tenté, la tirer par les bouts de tissu qui recouvraient son corps jusqu'à les déchirer, se mettre devant elle pour qu'elle s'arrête, la pousser même ! mais rien n'y avait fait, à chaque fois, elle avait continuer sa route. Après avoir fait encore quelques essais infructueux, il décida de s'arrêter pour tenter de flairer qui pouvait bien dégager cette hostilité. Mais il ne sentit rien et il n'eut pas le temps d'approfondir le sujet puisque la deux-pattes venait de tomber dans la terre molle et s'y enfonçait lentement. Il réfléchit le plus vite possible, tournant sa tête dans tous les sens. Il trouva assez rapidement ce qu'il cherchait auprès des êtres immobiles qui s'étendaient vers le ciel. Après s'être excusé à sa manière auprès de l'un d'eux, il lui en arracha une partie avec sa gueule. Il donna l'autre bout à sa partenaire qui l'attrapa fermement et il se mit à la tirer de toute ses forces. C'est alors qu'il sentit une odeur putride mélanger à celle du sang. Une chose informe émergea de l'horizon à la limite de sa capacité de vue. En instant, cette chose fut sur lui. L'impact fut si violent qu'il fut projeté sur un rocher. En se relevant, il prit le temps d'observer son adversaire. La chose qu'il avait cru informe faisait en fait partie de sa race. Mais il n'avait pas un corps sain. Il le sentait, la putréfaction émanait bien de lui. Quoi que cela puisse être, quelque chose pourrissait en lui. Sachant cela, malgré son apparente force et vitesse, le tigre ne devait pas perdre contre lui. Il se mit à lui tourner autour, jaugeant sa corpulence et la force qui en découlait. Il grognait en signe d'intimidation mais ça ne faisait aucunement effet. Alors après sa parade terminée, il se lança sur lui toutes griffes dehors. Il se battit avec toutes les armes que la nature avaient mises à sa disposition, crocs, griffes, poids, vitesse, puissance. Cependant, son adversaire avait les mêmes facilités voire des capacités nettement meilleures que les siennes. C'était un combat entre deux colosses avec une limite de temps car la deux-pattes s'enfonçait de plus en plus. Puis après quelques minutes de combat acharné, il le vit, l'élément putréfié de son homologue, une espèce de boule au niveau de son épaule droite. Il battit en retraite pour reprendre son souffle et attendre le moment propice, l'ouverture qui lui permettrait d'atteindre cette boule. L'ennemi revint sur lui enchaînant avec une vitesse fulgurante les coups de griffes, de crocs et les projection aérienne. Il ne lui laissait aucune ouverture. Le tigre commençait à perdre ses forces... Il se sentait partir dans les méandres de l'inconscience. Il tentait de lutter pour la deux-pattes mais...

Xanya avait profité du combat entre les deux tigres pour trouver un appui qui lui permettrait d'échapper aux sables-mouvants. Elle vit une racine non loin d'elle mais pas assez pour l'atteindre sans se déplacer. Elle se mit donc en mouvement, tout en restant près du bord, mais le sable exerçait une forte résistance et l'avancée était de plus en plus difficile, d'autant plus qu'à chaque mouvement elle s'enfonçait un peu plus dans le bourbier. Elle finit par atteindre la racine et s'y agrippa de toutes ses forces tout en se hissant hors de terre. Une fois sortie de ce qui était sur le point de devenir son prochain cercueil, elle rampa loin de celui-ci avec les quelques forces qui lui restaient et s'allongea pour reprendre son souffle et son énergie. Mais ce répit fut de courte durée. Du coin de l'œil, elle vit que son tigre était en difficulté. Elle rassembla ses forces et les utilisa pour s'interposer entre les deux tigres. Malheureusement son action eut peu d'effet sur l'assaillant qui continuait son attaque furieuse. En effet, en réveillant la douleur de l'excroissance putréfiée du tigre, le compagnon de Xanya l'avait rendu plus qu'incontrôlable. Recevoir des coups étaient insoutenables au vu des forces qu'elle et son ami avait perdues. Ils finirent par tomber tous deux, inconscient. Il furent suivi de près par leur ennemi qui contrit par la douleur s'évanouit à son tour.

************************

Une nuit était passée ou deux, ou plus, il n'en savait rien. Ce que Xanya savait en revanche c'est qu'ils s'étaient réveillés au petit matin. Une lumière douce tentait une percée entre les feuilles. Xanya s'assit, elle était quelque peu fatiguée et tout le haut corps la lançait encore mais la douleur était supportable. De toutes façons les tigres lui importaient plus que sa propre santé pour le moment. Elle s'occupa de son compagnon en premier lieu, il était certes moins atteint que l'autre tigre mais elle n'était pas une sainte non plus, ceux pour qui elle avait le plus d'affection passaient d'abord. Elle apporta donc les premiers soins à son ami. Une fois la tâche achevée, elle se tourna vers son ancien ennemi et tenta de l'approcher en vain. La jeune femme laissa donc son tigre qui était, pour le moment, moins faible que la bête sauvage. Il l'immobilisa pendant que Xanya s'occupait de son excroissance. Quand elle eut fini, elle caressa rapidement la tête du tigre sauvage et s'en alla.
L'expédition reprit alors de plus belle et se déroula cette fois-ci sans encombre. Quand le soleil fut haut dans le ciel, Xanya vit au loin une trouée de lumière bien plus large que celles qu'elle avait eu l'occasion de voir jusqu'ici. Elle accéléra donc le pas trop contente d'arriver enfin à bout de ce voyage déplaisant. En quelques minutes ils furent au pied de la colline. Il entreprirent de monter au somment de cette colline où se trouvait un arbre immense. Personne n'aurait pu les prévenir de ce qu'ils y auraient trouvé et une fois ce mont de terre gravi, la surprise s'empara de tout le visage de Xanya.

-Mais... Qu'est-ce que ça veut dire ?

Il n'y avait, selon Xanya, aucun mot pour décrire le haut de cette fameuse colline. Elle avait, en effet, des allures de jardin d'Eden avec ces milliers de fleurs qui la parsemaient. Des milliers de fleurs multicolores qui renvoyait la lumière comme un prisme créant ainsi des nuances dans l'air dont les teintes rappelaient l'arc-en-ciel. Le nom de cette île prenait enfin un sens lorsque l'on voyait ce spectacle. L'arbre qui trônait, majestueux et solitaire, sur cette colline paisible semblait veiller sur ces fleurs comme sur des enfants qui joueraient tranquillement pendant un doux après-midi d'été. Le ciel lui-même donnait l'impression de vouloir participer à embellir ce cadre merveilleux. Il était bleu et aucun nuage ne pointait à l'horizon tandis que le soleil s'efforçait de briller de mille feux. Cependant ce paysage idyllique avait quelque chose d'anormal. Xanya s'en rendit compte lorsque son compagnon de route, le tigre se mit à gronder. Quelque chose lui déplaisait ici.

-Maintenant que tu le dis, dit-elle en scrutant les alentours, c'est vrai qu'il y a quelque chose d'étrange ici, mais je n'arrive pas à mettre la main dessus...

La réponse était pourtant évidente. Et en réfléchissant un peu Xanya s'en rendit compte. Elle s'écria :

-Han ! Mais où sont les papillons !!

Cette réponse pouvait sembler hors-sujet, pourtant elle était au combien pertinente. Pas de papillon, pas d'insecte, pas d'écureuil, pas d'animal de quelque espèce soit-il. Même les oiseaux manquaient à l'appel. Pour le repère d'Albatros, c'était tout de même un comble que ses petites bêtes soient absente. Xanya se mit donc en mouvement. Elle s'avança lentement vers l'arbre faisant bien attention à chaque endroit où elle mettait les pieds. Elle tournait frénétiquement sa tête dans tous les sens étant sûre que quelque chose ou quelqu'un l'attaquerait dans peu de temps. Elle fit le tour de l'arbre et ce qu'elle vit l'étonna au plus au point.

-Mais... Qu'est-ce que ça veut dire ?

L'arbre majestueux perdait quelque peu de sa superbe lorsqu'on voyait l'envers du décor. Un énorme creux l'éventrait de part et d'autre. Et à l'intérieur de ce creux se trouvait un homme enfermé par des barreaux de fer encastré dans le bois et dans la terre. Après la surprise, c'est l'affolement qui s'empara de Xanya, elle se précipita sur la cellule tentant de l'ouvrir tout en demandant à l'homme ce qu'il faisait ici et pourquoi il était enfermé. Elle s'activait encore quand le tigre se mit à gronder.

-Encore ? Mais qu'est-ce que... Elle se tourna de nouveau vers l'homme et l'observa. Des cheveux fins couleur paille, des yeux d'un vert presque aussi intense que l’émeraude, un nez aquilin, des fossettes très marquées et un visage anguleux... Elle écarquilla les yeux et recula de quelques centimètres de la cage. Vous êtes Varens Delamare ?
-Comment peux-tu savoir qui je suis ?
-Abroguino m'a parlé de vous...
-Abroguino... Tu ne dois pas faire confiance à cet homme, il est dangereux...

Mais Xanya ne l'écoutait plus, son ami quadrupède lui avait bousculé le bras avec sa tête pour attirer son attention. Il tenait quelque chose dans sa gueule qu'il déposa près de la jeune femme. Elle s'en empara, c'était un bout de papier qui se trouvait certainement dans son sac. Elle le retourna et vis ce qui se trouvait sur le recto. Un avis de recherche au nom d'Albatros. Elle observa le portrait puis le visage de l'homme derrière les barreaux. Elle répéta cette action plusieurs fois avant de comprendre tant elle était abasourdie.

*Je savais bien que cette description me disait quelque chose ! Je l'avais déjà vu ce Varens mais sur un avis de recherche !*

-Plus qu'à vous, répliqua-t-elle en plaçant l'avis sous ses yeux.

Varens baissa la tête d'un air dépité et repris presque pour lui-même :

-C'est une méprise. Je ne suis pas cet Albatros que tout le monde craint.
-Vous n'avez pas tué la femme d'Abroguino ?
-... Si... mais c'est une autre histoire !
-Vous n'êtes pas ornithologue ?
-Si, mais ce n'est pas ce que tu crois !
-J'en ai assez entendu !

Xanya secoua la tête, elle se leva en signe de fin de discussion. Elle en avait assez entendu. Heureusement pour elle, il était déjà enfermé, elle n'avait plus qu'à le dénoncer aux autorités de Goa, récupérer la prime et ses oreilles de chat. Elle s'apprêtait à faire le chemin inverse quand Varens l'interpella de nouveau.

-Ecoute-moi ! S'il-te-plait...
-Pourquoi ?
-Tu es la seule dans les environs qui puisse m'aider.
-Pas suffisant.

Elle reprit sa route.

-Petite ! S'il-te-plait, attends !

Elle s'arrêta de nouveau. Après tout elle n'était pas pressée mais elle ne voulait pas non plus paraître trop bonne alors elle se retourna et lui lança :

-Deux minutes, pas plus.
-Merci, ce ne sera pas long. Il faut que tu m'aides à laver mon nom. Je sais ça va te paraître fou mais je ne suis vraiment pas Albatros. C'est vrai, mes oiseaux ont tué la femme d'Abroguino et je m'en veux encore mais c'était un accident ! Je n'ai jamais ordonné ceci ! Les oiseaux ici sont de vrais teignes. Il est vraiment difficile de les contrôler. Un soir sa femme m'a rendu visite. Ça a déplu aux femelles qui se sont attaqués à elle... Elle n'a pas survécu... Quand je l'ai annoncé à Abroguino, il est rentré dans une rage folle. Il a juré que je le regretterai et qu'il n'allait pas en rester là. Et c'est ce qu'il a fait. Il m'a volé tout ce que j'aimais. Ma vie, mes recherches, mes oiseaux. La cohabitation avec mes chers animaux a d'abord été difficile et un jour, alors que les oiseaux étaient excités il a perdu la vue. Aveuglé non seulement physiquement mais aussi par la haine qu'il nourrit envers moi, il m'a encore tenu pour responsable de son nouvel handicap. Puis il a trouvé un moyen de les contrôler bien mieux que moi. Il a commencé à s'en prendre à la ville qui l'avait exilé. Quant à moi, il me débusqua dans Grey Terminal et m'enferma ici, mon ancien échappatoire. Tu me crois maintenant ?
-Je devrais ?
-Je suis enfermé et sans oiseaux, tu penses vraiment que je pourrais être Albatros ?

*Il marque un point* pensa Xanya. Mais le doute subsistait, elle ne savait qui croire. Elle regarda le tigre blanc en quête de réponse mais celui-ci ne lui en fournit aucune. *Comme si tu pouvais m'aider !* Elles fit quelque allers-retours devant la cage de Varens. Elle était perdue et ne savait que faire. Allait-elle le libérer ?

Mille excuses:

De toute façon, il fallait qu’elle trouve l’endroit où il stockait tous les objets volés. Si ce n’était pas ici, ce serait ailleurs et il fallait qu’elle retrouve ses oreilles de chat. Il était hors de question qu’elle quitte cette île sans elles. Et c’était vrai qu’il marquait un point, pourquoi se serait-il enfermé lui-même. Bien sûr, il était possible qu’il ait tenté de tromper la jeune femme. Seulement s’il était capable de maîtriser une dizaine de volatiles pourquoi aurait-il eu besoin de se jouer d’elle de la sorte ? Peut-être préférait-il éviter les conflits, mais cette mentalité ne seyait guère à un voleur multirécidiviste. Elle continua de se triturer l’esprit, pesant le pour et le contre pour prendre la meilleure décision possible puis enfin, elle se décida. Elle arrêta de faire les cents pas devant la cage de Varens. Elle croisa les bras sur sa poitrine et lui demanda :

-Où est ton butin ?
-Je ne suis pas ce criminel, cet Albatros, répondit-il en détachant toutes les syllabes. Combien de fois faudra-t-il que je te le répète ? Je ne sais pas où peut se trouver le butin de ce gredin ! Mais si tu me fais sortir, je te promets de t’aider à le trouver.

Xanya réfléchit encore un peu. Elle ne pouvait pas croire qu’Abroguino, ce vieil aveugle si courageux puisse être Albatros. Si ce n’était pas Varens, c’était quelqu’un d’autre mais certainement pas l’homme qui l’avait renseignée la veille. Elle était dans une impasse et il fallait qu’elle en sorte. Alors, toujours avec réserve, elle demanda à son tigre de défoncer les barreaux qui empêchaient Varens de sortir.

-Jeune fille, tu as fait le bon choix, la remercia-t-il en tentant de lui serrer la main.

Elle fit trois pas en arrière. Elle l’avait peut-être libéré mais elle ne lui faisait absolument pas confiance. Elle lui énonça la règle à laquelle elle venait de penser : il devrait toujours marcher devant elle. Si jamais, il essayait de s’enfuir ou de la tromper, elle laisserait le tigre lui régler son compte. Il déglutit par crainte et exécuta ce que la jeune femme lui avait ordonné de faire. Ils descendirent donc de la colline et rejoignirent la forêt. Une fois dans la densité de cette jungle, Xanya se demanda enfin quelle direction prendre. Elle interpella alors Varens et lui demanda :

-Où irait Abroguino pour s’isoler ?
-Je ne sais vraiment pas jeune fille. Depuis que je le connais, je ne l’ai jamais vu ressentir ce besoin. Mais il admirait le Mont Corvo, il pouvait le voir de sa fenêtre et il le contemplait souvent, se disant que c’était là-bas que le véritable roi devrait résider.

Elle ne voulait toujours pas admettre qu’Abroguino était le criminel dont tout le monde parlait, mais elle ne pouvait négliger aucune piste, aussi décida-t-elle de rejoindre le Mont Corvo. Traverser la forêt du milieu fut beaucoup plus simple qu’à l’aller. Aucun animal sauvage ne vint les déranger et pourtant sentait qu’on l’observait. Elle s’arrêta plusieurs fois pour regarder les alentours mais en vain. À aucun moment elle ne put identifier ce qui la gênait. Son tigre semblait être dans le même état, ses oreilles bougeaient dans tous les sens, tentant d'identifier un bruit suspect. Mais rien ne lui parvint. Ils arrivèrent finalement au pied du Mont Corvo sans encombre. Ils commencèrent donc l'ascension, Xanya et son tigre toujours aussi tendus.

Pendant leur marche, les suspicions des deux compagnons furent vites confirmées. Celui ou ceux qui les suivaient avaient commencé à faire des erreurs. Le tigre entendit un bruissement de feuille, il avertit sa compagne à deux pattes d'un coup sec de la tête contre sa main. Elle comprit tout de suite et se mit en position de combat, dos à dos avec son tigre. Et soudain, l'assaut débuta.

Plusieurs hommes émergèrent des buissons, des arbres et même parfois de la terre. Xanya et son tigre étaient totalement encerclés. Une seconde passa, une seconde durant laquelle Varens eut le temps de se volatiliser tandis que chacun observait l'ennemi. Puis un couteau fendit l'air en direction de la jeune femme. Son tigre lui donna un léger coup d'arrière-train qui la fit tomber, mais lui permit également d'esquiver. Puis le quadrupède se lança dans la bataille. Il se jeta sur l'homme qui avait envoyé le projectile et le fit basculer, cognant sa tête contre un rocher. Il le laissa là et continua son attaque sur l'homme qui se tenait à côté. Celui-ci fit un pas de côté pour esquiver juste à temps et ne pas tomber à la renverse mais le tigre étira sa patte droite et déchiqueta la chair de l’abdomen de son adversaire de ses griffes. Toujours dans le même élan, il se précipita sur un troisième adversaire sautant assez haut pour le prendre à la gorge. Il garda ses crocs enfoncés jusqu'à ce que les spasmes de sa victime cessent. Les autres adversaires, restés pétrifiés jusque-là, reprirent alors leurs esprits et se jetèrent à corps perdu sur le tigre pour tenter de le maîtriser. Mais le quadrupède était vif, il esquiva les deux premiers hommes qui tombèrent lourdement au sol. Il s'était mis sur la trajectoire d'un troisième et avait raidi son dos pour également le faire basculer et ainsi se concentrer sur les quatre derniers hommes.

De son côté, Xanya s'était relevée et remise en position de combat. Elle n'avait que de piètres connaissances en combat sans parler de son manque d'expérience. Cependant, elle était prête à aider son tigre du mieux qu'elle le pouvait. Tandis qu'il se jetait sur les quatre autres combattants, elle s'occupa des trois qu'il avait laissés en vie et qui s'étaient tournés vers elle. Ne sachant que faire, elle préféra les laisser s’approcher. Elle pensait que réagir plutôt qu’agir serait une stratégie payante. Les trois hommes souriaient tandis qu’ils encerclaient la jeune femme. Son inexpérience devait se lire dans ses yeux ou son attitude car ces hommes qui semblaient apeurés quelques instants auparavant avaient désormais des regards semblables à ceux des prédateurs. Deux d’entre eux se précipitèrent sur Xanya. Elle réussit à esquiver le premier tant bien que mal mais ne put éviter le second, une dague entama alors son épaule. Le troisième ne s’était même pas mis en mouvement qu’elle avait déjà reçu des dégâts. Pleine de fierté, elle voulut retenir le cri de douleur qui se pressait derrière ses lèvres, mais sa volonté flancha lorsque le troisième profita de cette blessure pour lui asséner un dernier coup de couteau dans les côtes. Lorsqu’il l’entendit, le tigre se retourna pour s’assurer de sa condition. Son inattention permit aux quatre hommes qui l’entouraient de l’immobiliser tandis que Xanya sombrait.

***

Elle se réveilla dans une cellule, son tigre non loin d’elle. Celui-ci avait des fers aux quatre pattes. Voyant cela, Xanya entra dans une colère noire. Comment quelqu’un avait pu faire une chose aussi horrible ? Comment quelqu’un avait-il pu priver cette majestueuse bête de sa liberté ? Ses yeux changèrent alors de couleur et elle tenta de se défaire elle-même de ses chaînes. Sa tentative fut bien vaine mais sa colère l’aveuglait totalement. Tandis qu’elle s’agitait, le tigre qui avait apparemment veillé sur elle grogna, un grognement qui semblait étrangement plein de mépris. La jeune femme se calma alors et lui demanda :

-Quoi ? Tu as une chose à me dire ?

Le quadrupède ne répondit pas et tourna la tête. Xanya, elle, n’en revenait pas. Son compagnon lui reprochait clairement son état actuel. Comme si elle avait pu prévoir l’embuscade qui les attendait sur cette montagne. Non seulement elle ne pouvait pas le prévoir, mais en plus elle tentait tant bien que mal de s’échapper pour lui rendre au plus vite la liberté qui lui était due, et malgré tout, il la tenait pour responsable. Après quelques minutes d’incompréhension, elle décida de ne plus s’en faire. Si le tigre tenait à bouder, grand bien lui fasse, elle se débrouillerait seule. Elle tourna donc la tête à son tour et se mit à observer la pièce. Deux coquillages étranges tentaient d’éclairer la pièce. Leur faible lueur permit à la jeune femme de distinguer plusieurs choses : les épais barreaux de métal qui se trouvaient devant elle, la longueur des chaînes qui la retenaient, pas assez longues pour qu’elle puisse se mettre debout, et deux portes au fond de la pièce. Elle tenta de nouveau de se libérer de ses liens mais elle n’avait pas la force de détruire le fer.

*Comment va-t-on faire ? s’interrogea-t-elle. Je n’ai aucune force et M. Tigre semble également entravé. Je n’ai même pas d’arme pour me sortir de cette situation. Je savais que je n’aurais pas dû faire confiance à ce Varens, il avait certainement tout planifié.*

Mortifiée, Xanya posa sa tête contre le mur. Regardant au plafond, elle cherchait une solution mais sans grande conviction. Elle savait pertinemment qu’il n’y avait plus rien à faire. Son tigre avait raison, c’était bien à cause d’elle qu’ils s’étaient retrouvés dans cette situation. Elle était trop faible. Tout ce qu’elle avait fait à présent se résumait à embarquer clandestinement de navire en navire. Il lui était arrivé d’arrêter quelques malfrats pour recevoir une récompense pour pouvoir se nourrir mais ces criminels n’étaient que de petites frappes. Elle n’avait jamais eu affaire à un homme avec une prime et l’expérience n’avait pas été probante. Elle savait désormais qu’elle était faible, si faible qu’elle ne pouvait protéger son compagnon.

Elle allait continuer à se lamenter lorsque l’une des portes s’ouvrit laissant apparaître l’infâme Varens ou plutôt Albatros. Son sourire suffisant était hautement désagréable et pour l’éviter Xanya reprit la position qu’elle avait avant qu’il ouvre la porte, fixant le plafond avec détermination. Il s’avança près de la cellule et entama sa tirade :

-Aaaah petite… Tu sais, je suis très heureux de t’avoir rencontrée. Je te trouve incroyable. Tu es si facilement manipulable, c’est étonnant ! Tu semblais pourtant si forte et sûre de toi, avec ce regard froid malgré sa couleur rosée. Et dire que tu avais l’air de tant croire en ce cher Abroguino et que tu m’as quand même laissé sortir. Ta confiance n’était pas si inébranlable que ça, n’est-ce pas ?

C'était dur, elle venait d'admettre qu'elle était faible physiquement, mais Varens retournait le couteau dans la plaie en ajoutant une faiblesse morale qu'elle ne se connaissait pas. Elle se mordit les lèvres en prenant conscience de ses défauts. Elle n'était pourtant pas du genre à montrer ses émotions et ça n'allait pas s'arranger. C'était décidé, désormais, à défaut d'être forte, elle ferait au moins semblant de l'être. Elle se promit que plus personne ne pourrait mettre au jour ses faiblesses.

-Mais bon, reprit-il, comme ça m’arrange au plus haut point, j’ai décidé de te confier un petit secret. Je ne suis pas seul dans cette histoire, j’ai un super partenaire. Comme tu vas croupir ici de toute façon, je peux bien te le montrer ! Allez petite, regarde qui arrive.

La seconde porte grinça alors qu’elle s’ouvrait. Xanya, attirée par le bruit et tout de même curieuse de savoir qui aidait ce Varens, baissa la tête en direction du nouvel individu qui arrivait dans la pièce. Elle se figea alors lorsqu’elle reconnut Abroguino.

L’aveugle entra dans la pièce un sourire mielleux sur le visage. Un oiseau était perché sur son épaule et un anneau métallique encerclait sa tête. Xanya le regardait, les yeux écarquillés. Décontenancée, elle ne savait quoi dire. Elle avait tellement cru en cet homme qu’elle avait pensé si fort face à l’adversité. Cet homme qu’elle avait décidé de prendre pour modèle, cet homme qui lui avait donné des pistes sur Albatros. Cet homme était en fait le criminel qu’elle recherchait ! Varens rit devant le spectacle que lui offrait la jeune fille, mais il laissa Abroguino s’expliquer. Ce dernier s’approcha de la cellule de Xanya, mais, tout aveugle qu’il était, elle avait tout de même l’impression qu’il la transperçait du regard.

— Tu es surprise, je suppose.

Elle ne répondit pas même si une réponse pleine de sarcasme brûlait d’envie de franchir le pas de ses lèvres.

— Forcément, qui pourrait soupçonner un pauvre aveugle tel que moi n’est-ce pas ? Et pourtant ! Il faut croire que la haine a forgé mon caractère, je me suis endurci avec la mort de ma femme causée par l’un des maudits oiseaux de Varens.

Il partit ensuite dans un long monologue où il expliqua en long et en large à Xanya comment il en était arrivé là. Il lui décrivit avec bon nombre de détails le fonctionnement de son anneau cérébral, cette chose de métal qu’il portait sur sa tête. Grâce à lui, il pouvait transmettre des images aux oiseaux qui comprenaient alors ce qu’il attendait d’eux. Une méthode bien plus efficace que celle de Varens selon lui. Il avait lancé cette pique délibérément, sachant pertinemment que cela agacerait son acolyte. Pendant quelque temps, ils s’étaient disputé le titre d’Albatros. Varens avait perdu sur tous les points, non seulement il s’était retrouvé enfermé sans ses oiseaux ni son pactole, mais en plus, c’est sa tête qui s’était retrouvée sur l’avis de recherche, laissant Abroguino vivre tranquillement dans son coin.

— En attendant, rétorqua Varens, c’est mon visage que les gens craignent lorsqu’ils entendent le nom d’Albatros.

Abroguino ne releva pas la pique et reprit sa tirade. Il expliqua que l’arrivée de Xanya avait changé la donne dans leur relation. Ils avaient enfin réussi à se mettre d’accord et avaient décidé de travailler ensemble.

— Après tout, nous sommes amis à la base, conclut-il.

Tandis qu’un sourire malveillant s’étendait sur ses lèvres, l’aveugle se releva et partit avec Varens, laissant leur prisonnière à son triste sort.

La jeune fille était à la fois décontenancée et agacée. Cette révélation lui avait fait un choc. Jamais elle n’aurait pensé qu’Abroguino pouvait lui mentir, et pourtant elle n’accordait pas sa confiance aussi facilement habituellement. Agacée par son manque de méfiance, elle se promit de ne plus baisser sa garde devant un quelconque handicap. Après une séance d’auto-flagellation mentale, elle reprit sa position initiale, la tête posée contre le mur, regardant le plafond. Elle tentait d’échafauder un plan d’évasion... sans succès. Mais alors qu’elle se triturait les méninges en observant la pièce, elle entendit un bruit étouffé. Elle pensa d’abord qu’il s’agissait de l’un des Albatros, mais il se fit plus persistant. Elle tourna alors sa tête dans tous les sens de façon à localiser la provenance de ce son suspect. C’est alors que la réponse lui fut servie sur un plateau. Une dalle de pierre s’enfonça dans le sol, puis une seconde quelques minutes plus tard. Finalement, un total de quatre dalles avait disparu en dix minutes. Enfin, une tête sortit de ce trou. Une tête que Xanya connaissait déjà. Elle allait vivement exprimer sa joie quand Teyvis porta un doigt devant sa bouche l’intimant au silence. Il s’extirpa du trou et s’approcha de cellule de Xanya. Il crocheta la serrure avec une technique impeccable et la porte céda sans délai. Il répéta son action sur les chaînes qui entravaient la jeune chasseuse de prime.

— Bon par contre, tu te débrouilles pour ta bestiole, moi, je ne suis vraiment pas rassuré.
— Et comment je lui ouvre ?
— … Bien vu, tu sais pas crocheter une serrure.

Elle secoua la tête en signe de dénégation. Son sauveur soupira alors et reprit :

— Bon, je vais l’faire, mais tu restes à côté d’lui, j’ai franchement pas envie de me prendre un coup de griffe.

Un petit sourire aux lèvres, Xanya acquiesça tout en attendant que Teyvis fasse son œuvre. Il travaillait vite et bien. Le quadrupède fut libéré en quelques minutes et en silence. La jeune chasseuse de primes hésita avant de passer une main affectueuse dans le pelage fourni de son compagnon. Celui-ci tourna vivement sa tête vers sa main. Pour la première fois, la jeune fille fut quelque peu anxieuse à l’idée que son animal lui fasse du mal. Mais contrairement à son libérateur, elle n’eut aucun mouvement de recul. Même si la peur avait commencé à s’insinuer dans son esprit, elle ne voulait absolument pas que M. Tigre s’en rende compte. Finalement, il frotta sa tête avec plaisir contre le flan de sa compagne. Soulagée, elle gratta derrière ses oreilles en signe de réconciliation.

Ils empruntèrent ensuite le passage par lequel Teyvis était arrivé. La jeune femme lui demanda alors comment il les avait trouvés.

— Après ton départ, j’ai trouvé Abroguino un peu bizarre. Il s’est mis à parler tout seul. C’était tout bas, mais bon, il avait jamais fait ça avant. Et puis il avait un sourire bizarre, comme s’il préparait quelque chose de mauvais. Du coup, je l’ai suivi, et voilà !

Xanya esquissa un sourire puis ils reprirent leur route. Ils s’enfonçaient de plus en plus dans le tunnel qui semblait être un passage complètement aménagé. Ce n’était clairement pas Teyvis qui avait donc creusé ce tunnel. La jeune femme se demandait à quoi pouvait bien servir un passage secret qui menait aux geôles. Elle n’eut malheureusement pas le temps de se poser la question outre mesure, car ils atteignaient la surface. Au sortir du tunnel, Varens et Abroguino les attendaient, une multitude d’oiseaux à leurs côtés.

*Évidemment, se dit la jeune chasseuse de primes, c’était trop beau…*

Elle avait encore été assez naïve pour croire qu’elle s’en sortirait tranquillement et sans dommages. Varens et Abroguino étaient deux scientifiques de génie, il était évident qu’ils n’allaient pas se laisser avoir aussi aisément. Mais ce qui inquiétait le plus Xanya, c’était le rôle qu’avait pu jouer Teyvis dans cette histoire. Était-il lui aussi de mèche avec les Albatros ? Elle fit un pas de côté pour se séparer ostensiblement du jeune homme. En voyant son geste, ses deux adversaires avérés éclatèrent de rire. Et l’aveugle reprit de nouveau la parole.

— Aaaaaah Teyvis, je suis aveugle ! Mais pas sourd ! Et j’ai un excellent odorat. Pensais-tu vraiment qu’avec le peu de discrétion dont tu as fait preuve, sans compter sur ton odeur corporelle affligeante, tu passerais inaperçu ?
— Tu n’avais même pas assez de jugeote pour comprendre que nous t’avons offert ce passage sur un plateau d’argent ! Et moi qui avais dit à Abroguino qu’une ruse aussi peu subtile ne pourrait jamais fonctionner, je me suis bien trompé, ajouta Varens, faussement déçu.
— Et maintenant que nous avons anéanti vos espoirs de fuite…
— Il est tant de détruire vos espoirs de survie, dirent-ils en chœur.

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